Dégustation de vin de Chinon

Qui boit encore de vieux millésimes et du vin de Loire ? Personne ! Même pas stef qui était avec moi à Chinon, entre les vinasses usées et la bonne eau, le choix est vite fait. Non, les flacons qui datent de Mathusalem, c’est effrayant. Regardez les têtes des dégustateurs quand dans leur verre coule le poison. Il faut qu’on trempe nos lèvres dans ces liquides aux couleurs passées, troubles, pleins de substances noirâtres aux allures de préparations de sorcières.

Loin des potions dynamisantes, elles altèrent notre vision. Ensorcelés, nous pénétrons alors au pays des enchanteurs qui nous racontent des histoires antédiluviennes, litanies climatiques qui reprennent en leitmotiv et langage abscons les dates de floraison, de véraisons, de vendanges, ils nous en martèlent l’esprit jusqu’à nous faire avouer que le 1934,  Chinon de Couly Duteil au nez de groseille semble avoir été mis en bouteille bien plus récemment qu’il n’y paraît, gardant outre du fruit, une fraîcheur et une vigueur que lui envie bien plus jeune que lui.

Puis, la rengaine reprend, nous répète le Domaine Pierre et Bertrand Couly 1947, jusqu’à ce qu’on admette que l’ouverture lui va comme un gant de velours couvert de pâtes de fruits, tissé d’épices, lacé de cuir, un gemme à chaque doigt.

Vient le 1959 de Maurice Raffaut, qui respire la fraise nuancée de cassis, la bouche encore hérissée de tanins vous fait des guiliguilis, tous les moyens sont bons pour nous abuser. Mais avant de nous permettre de réagir à la soumission totale, on nous verse sans hésitation le 1964 du Domaine Dozon,

ils savent ce qu’ils font, sa bouche croquante distille plus perfide qu’un philtre des notes de fraises écrasées, de cassis, de réglisse, y ajoutant une pincée de poivre. Comme cela ne leur suffit pas, ils nous mystifient grâce à la plus érotique des années, Château de Ligré 1969 au doux parfum de marasquin, de pâte de coing, au velours tannique peint d’épices et de fruits, à la fermeté acidulée, tendue et lippue.

Arrive le Domaine Dozon 1976 et un changement de registre, c’est à coup de noisette, de café légèrement lacté, de pâte d’amande finement parfumée de chocolat qu’on agit sur notre gourmandise, quand cela finira-t-il ? Les années 80 défilent sans nous laisser souffler pour terminer par Domaine de la Noblaie 1989 qui insère ses pâtes de fruits dans le grillé de l’élevage, transformant les fruits en ganache recouvert de cacao. Bernard Baudry 1997 sonne l’hallali, son onctuosité ne nous permet aucune échappatoire et c’est sous un assaut de chocolat noir enluminé de cerise et de mûre que nous nous rendons sans gloire. C’est dit, les millésimes anciens méritent place à table, qu’ils coulent dans nos verres, nous en parleront gardant en mémoire toujours quelques gouttes de Chinon suaves au fruité un peu passé, mais tellement captivant.

C’est en l’an de grâce 2011, au Château du Rivau, que l’envoûtement a été pratiqué.

Stef semblait enchanté, et un peu rêveur, par l’expérience si peu usitée, moi, le vague à l’âme, j’ai erré jusqu’au restaurant, parce que vieux millésimes ou pas, les dégustations ça creuse… C’est un car de transport scolaire qui nous y a conduit, nous étions à nouveau des enfants hilares, d’où la vraie légende de Marc en pleine jubilation…